L'échelle - suite
Je l'ai revu dans le bus, tout à l'heure, l'homme qui avait trouvé l'échelle.
Il tenait toujours, extatique, son volume de Harry Potter lorsqu'il est monté, essoufflé, alors que le chauffeur démarrait déjà.
Il s'est assis sans regarder autour de lui, et il s'est aussitôt plongé dans sa lecture.
Il avait cessé de suivre les lignes avec son morceau de papier, les mots n'avaient plus qu'à peine besoin de se poser sur ses lèvres désormais presque immobiles.
Il était arrivé presque à la fin du livre. Le tas épais des feuilles déjà tournées était sous sa main gauche comme la haute pente qu'il venait de gravir. Et la liasse menue des dernières feuilles avait déjà ce parfum doux, d'automne et de regret, des lectures qu'on achève.
Il souriait toujours. Mais il allait bientôt connaître la tristesse du mot FIN. Cette vague détresse qui saisit le lecteur, quand tout se clôt, et que l'ombre retombe sur le monde lumineux qui vivait dans les pages. Son sourire en était déjà un peu obscurci, mais il ne cédait pas. Et c'était merveilleux de le voir ainsi, prêt à affronter cette fin dont l'insupportable amertume allait l'entraîner dans un autre volume, puis dans un autre encore, dans un autre toujours, pélerin désormais inlassable de son propre chemin.
Je me suis dit que je m'étais trompée, l'autre jour. Ce n'était pas sur une échelle aux barreaux de bois raides qu'il s'était engagé, mais plutôt sur un de ces vieux ponts incas sans cesse retressés et retendus au-dessus des gouffres - un de ces ponts de fibres, fragiles comme la paille, solides comme l'effort humain, qui mènent obstinément à l'autre rive.
El puente Q'eswachaka - capture d'écran