Châteaux de sable
Enfant, j'ai aimé les châteaux de sable. Passionnément - je veux dire : avec ce mélange d'instinct de possession et d'angoisse qui fait les grandes passions.
Acharnée, je creusais, je bâtissais, je fortifiais. Tandis que la mer, lente et vorace, avançait comme l'heure, de toutes ses dents d'écume, vers les créneaux et les tourelles, je luttais pour sauver mon château.
Rien n'est plus difficile, sans doute, pour un enfant, que cette découverte du temps, de la fatalité, et, en somme, de la mort.
Jusqu'au dernier instant je travaillais et je résistais, me hâtant de consolider les murailles, étayant les remparts et écopant les douves.
Pourtant, lorsque la vague, enfin, léchait les dernières tours en ruine et les chemins de ronde où s'enfonçaient les mouettes, je ne pouvais jamais l'empêcher, ce sentiment bizarre de bonheur, soudain, à voir le château se fondre comme pincée de sel.
Cette autre découverte : qu'on ne bâtit que sur le sable, des oeuvres que le temps roulera comme grains d'illusion, et que c'est pour cela, précisément pour cela, qu'il nous faut les bâtir. Une pincée de sel sur le néant qui vient. Ce n'est vraiment pas rien.