Se dieu qie pour eux
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Lorsqu'on visite, à Bex, en Suisse, les mines de sel creusées au coeur des Alpes, on éprouve des sentiments si mêlés... De l'admiration, bien sûr, une immense admiration, pour ce travail tellement humain qui semble tellement surhumain - des kilomètres de hautes galeries ouvertes dans la pierre avec de simples maillets. Des siècles d'effort tenace et continué, comme un legs de force et de volonté.
Mais on se sent aussi une forme d'angoisse, presque d'horreur, à imaginer le sort atroce des mineurs, pauvres nains de la terre, engloutissant dans la montagne leurs forces et leur vie toute entière, aussi prisonniers des sentiers de la nuit que l'oiseau dans sa cage attendant le grisou.
Puis on se penche vers ce qui d'abord semble une pierre tombale.
Et on lit : "Se dieu qie pour moet" . On ne comprend pas tout de suite : il faut prendre le temps d'écouter la voix de celui qui, revenant des entrailles de la mine, donna encore de sa fatigue pour graver cela - en lettres de latin, en travail de romain et manière de Maxime.
C'est Dieu qui est pour moi, quié pour moi, qui est pour moet...
Une voix du passé, avec son accent vaudois d'"aou"1684, que son ignorance des règles a fixée sur la pierre avec une exactitude saisissante.
On l'écoute dans l'ombre - et aussitôt on le voit, il se tient là, vivant, ce Roche, nain découvreur de trésors, si joyeux de la source tombée sous sa cisette, si heureux de sa veine, pour un soir ou pour une semaine, qu'il en a oublié tout le poids de sa vie, qu'il chante et danse et qu'il se croit béni.
Et on se dit que rien n'aurait pu se créer, sur cette terre, ni les mines ni les palais, ni le labour des champs, ni l'aventure des mers, sans ce pouvoir des malheureux de racler quelquefois la saveur du bonheur dans leurs mains fatiguées - le pauvre grain de sel si durement sué qui leur donne la force de continuer encore - pour unique salaire, quand la trique du maître et le fouet de la faim auraient dû les abattre.
Alors on a envie de pleurer. Parce que c'est affreux. Mais que c'est merveilleux. Que c'est dans tous les contes. Que c'est cela qui les fait pour toujours divins, les nains qui bâtissent dans l'ombre des mondes de géants. Que se Dieu qie pour eux.
Qu'ils sont tout le sel de la terre.
La blanche neige de la joie.
Et merci à Nathalie... http://www.leregional.ch/N42947/je-m-interessais-a-decouvrir-le-sous-sol.html