Une histoire de violon

Publié le par Carole

Une histoire de violon
Juste une petite histoire, aujourd'hui, que j'ai lue ce matin dans le journal local.
Une histoire de violon.
Ici, à Nantes, tout le monde connaît Dinu, le vieux violoniste roumain en chapeau haut de forme et gilet pailletté. Le gentleman musicien des mendiants de la ville. Celui qui m'a toujours rappelé le baron de B*** du récit d'Hoffmann, parce qu'il joue un peu faux, mais avec tant de fougue et tant d'art qu'il nous oblige à réfléchir beaucoup à ce que ce serait, vraiment, que jouer juste, et jouer bien.
Dinu a eu bien des mésaventures, ces derniers temps. On l'a d'abord mis à l'amende. Puis il a cassé son violon.
Mais Dinu est aimé. On a fait une pétition pour lui faire ôter son amende, et une collecte pour lui racheter un violon.
Dinu est aimé, je vous l'ai dit, tellement aimé que les dames qui ont fait la collecte ont reçu bien plus d'argent qu'il n'en fallait pour acheter le petit violon tout simple que demandait Dinu. 
Alors elles ont voulu lui faire une surprise : elles ont commandé pour lui un beau, très beau violon très cher, à un luthier réputé de la ville. La Rolls-Royce des violons, comme disait le journal...  Puis elles ont apporté le violon à Dinu sur un tissu de soie dans son étui de luxe.
Seulement voilà, Dinu a été déçu. Il a râlé et ronchonné. Il ne savait pas jouer sur la Rolls Royce, lui qui ne sait pas même conduire.
Ses morceaux en morceaux accrochaient leurs lambeaux sur les cordes trop nettes, ses âpres démanchés faisaient grincer d'angoisse l'âme trop délicate du violon remarquable, et la barre d'harmonie geignait aux coups trop rudes de ses grands staccatos.
Les dames étaient désemparées. Elles ne savaient que dire.
Et nous non plus.
C'est si souvent ainsi, quand on est riche et bon. On décide pour les pauvres comme on ferait pour soi. On croit qu'ils ont si peu connu le bonheur qu'ils ne savent pas vraiment ce que c'est. Qu'il suffira de le leur apporter tout prêt, sur le plateau des préjugés. Qu'ils se mettront à table en remerciant sans retourner les chaises, dans le beau restaurant quatre étoiles où ils sont invités.
On oublie simplement de les laisser choisir. Par bonté pure on leur prend ce très peu qui leur reste accroché au coeur comme un chiendent : le vouloir. Et ils râlent, frappent du pied, se révoltent, en ont marre, les ingrats. Ce qu'ils veulent, non de non, c'est vouloir !
 

Publié dans Nantes

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