Panne

Publié le par Carole

Panne
Comme tant d'autres, j'ai laissé au repos ma voiture assoiffée. Sur son trottoir reverdi que les oiseaux regagnent, elle attend en broutant, cheval fourbu pas mécontent de rester dans son pré.
Plus d'essence. La panne... 
Autrefois, quand la mer était calme, et qu'il fallait attendre un navire compagnon, ou que le menuisier du bord avait besoin d'un peu de temps pour réparer les mâts qu'une tempête avait ébranchés, on mettait ainsi le navire, voiles repliées, au repos, en panne.
Alors les marins désoeuvrés s'asseyaient. Ils regardaient passer dans le ciel les grands oiseaux de mer, remplissaient leurs bouteilles de bateaux chimériques, ou sculptaient sur des dents de requins des paysages et des visages qu'on n'avait jamais vus, et que la mer reprendrait, bientôt, quand elle aurait vidé leur sac.
 
La pénurie, la crise, le blocage... on peut en parler de bien des façons, évidemment. Tant de journaux et de télévisions s'y égosillent, en boucle, en scoop, en continu.
Mais nous, au moins, contraints de mettre en panne nos déplacements inutiles, nos courses frénétiques et nos rendez-vous minutés, forcés de nous asseoir, ou bien d'aller à pied, nous retrouvons, un peu, très peu, si peu, le rythme antique de la vie sans moteurs.
Une vie dont nous n'avions plus la moindre idée. 
Lente comme un navire sous le vol des oiseaux.
Pas une vie facile. Juste une vie pas vite.
Une vie qu'on peut tenir entre ses mains, comme un petit morceau de temps, pour la regarder vivre, ou même la sculpter, lentement, ou l'emplir de chimères, avant qu'elle ne s'en reparte à la vague.

Publié dans Divers

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Z
Pas si mal finalement... cette pause forcée?
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M
Le blocage n'a d'effet que sur les utilisateurs d'autos. Par contre les motifs de la grève ...
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C
Je crois qu'il y a quelque chose de ce genre en Belgique aussi.
R
Une façon de poétiquement transcender la situation ...
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C
Pas seulement. J'habite une rue assez bruyante d'habitude.
G
Tout rentrera dans l'ordre , question de temps
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M
Eh oui, cette panne nous fait entrer dans une autre dimension, celle des vraies priorités! Merci Carole de nous le rappeler avec beaucoup de poésie.
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H
La vie qui est là, juste là, et nous dedans en course illusoire toujours de plus en plus folle, à secouer notre âme en la tirant par la main, comme font souvent les parents avec un petit enfant, sac au dos, trop gros le sac, et dont les pieds ont peine à toucher le sol... ainsi, nous tirons notre âme par la main et nos yeux sont tristes.<br /> Oui, retouchons au temps, il est si doux: grand chat soyeux ne demandant qu'à être caressé.<br /> Et laissons notre âme s'asseoir un peu, sur un banc...:-)
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L
J'avoue que cette vie passive à regarder casser et piller, en panne comme tu le dis si poétiquement, commence à me peser, ce n'est pas que je regrette la voiture, que je prends de moins en moins, et qui est en quelque sorte en panne depuis longtemps...pour vivre une vie pas vite et prendre le temps à pieds de regarder et voir. .<br /> Bonne journée à toi
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Q
Qu'ajouter que tu n'aies si bien exprimé ?<br /> Rien.<br /> J'aime l'idée de cette vie "pas vite".<br /> Ce serait finalement une bonne chose que d'enfin prendre le temps nécessaire à la vivre...<br /> Merci, Carole, pour tout.<br /> Passe une douce journée.
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A
J'aime beaucoup ce que tu dis des navires "en panne" et des marins qui sculptent sur des dents de requin... Mais comment s'arrêter à un passage quand d'autres par la suite en reprennent la beauté comme un feu d'artifice dont les fusées relaient les précédentes à l'envi, ou comme les mouvements d'un pinceau qui font remonter, encore et encore, la couleur superbe au travers du tableau !
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A
J'aime beaucoup ce texte qui va au rythme du flux et du reflux du temps passé. Et c'est rassurant, finalement, de voir que sitôt la vie ralentie, nos belles chimères réapparaissent.
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M
Pas de réelle pénurie dans ma région, je le regrette presque car j'aurais voulu goûter à la vie pas vite. Mais pas trop longtemps, bien sûr. J'ai perdu le mode d'emploi....
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N
Comme toi j'ai remarqué, dans mon coin de campagne, que l'espace avait changé, plus lent, plus calme, moins pollué de bruits. J'ai mis du temps avant d'en comprendre la cause: voitures restées au pacage...Une des causes, car c'est aussi Roland Garros... ** )
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J
C'est vrai que privé de nos voitures ça râle sec dans les rangs ou on se sert à une frontière, comme chez nous, les pompistes se frottent les mains... !! On se rend compte dans ses moments-là combien on est dépendant de la chose, vivre sans semble impossible, pourtant les pieds et le vélo en attendant... c'est bon pour la santé, la notre et la planète polluée !! ;-)
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