La Nuit des dieux
C'était hier la Nuit des Musées.
Au château j'ai revu dans la nuit la vieille pierre fondatrice, celle qui confie depuis deux mille ans notre ville au dieu Vol - pour le salut du port et des navigateurs de Loire.
Deo Vol Pro Salute Vic Por Nav Lig... Ils aimaient les abréviations, nos ancêtres romanisés, autant que nous aimons aujourd'hui les sigles et les messages en 140 signes.
Efficaces, économes, mus par le seul souci de ménager leur temps qui valait de l'argent, sans penser à malice, simples télégraphistes, de "Volcanus", le vieux Vulcain, ils avaient fait le jeune dieu "Vol", prince de cette ville, empereur de ce monde.
Il m'a semblé le voir, dans cette nuit de mai, tel qu'il était alors, frémissant d'avenir, cet étrange dieu Vol qui s'en venait de naître, tout armé, tout ailé.
Libre comme un oiseau, descendant l'estuaire au côté des hérons et des mouettes, par-dessus les grands ponts, et renversant les barques des pêcheurs de civelles pour trouver l'au-delà - et ramasser de l'or.
Tordant le fer avec ses doigts de feu pour en faire des canons, des charrues, des bateaux, des statues, et de forts caractères à imprimer des livres, à conquérir des mondes.
Rusé comme un faucon, faisant marché de tout, même de chair humaine, buvant son chocolat en manches de dentelles, en attendant tranquille que s'en reviennent à lui de sombres cargaisons.
Artiste en diable, ange en figure de proue, clignant son oeil cerclé de mascaron pour séduire les passants, mais désignant du pouce ceux qui mourraient le soir.
Immoral, élégant, cruel et délicat, aussi rêveur qu'avide, travailleur et frivole, terrible et magnifique. Le vrai dieu de la ville, le maître de ce monde qu'on nous civilisait.
Le croyez-vous vraiment, qu'elles soient mortes et éteintes, toutes ces divinités païennes qu'on accroche au musée pour ne plus y penser ?