La Tempête
Hier soir, la "Folle Journée" était, chez moi, à Carquefou. Et Claire Désert nous a joué La Tempête, qui est peut-être la plus beethovenienne de toutes les sonates de Beethoven.
Elle a si bien interprété le dernier mouvement que j'ai cru entendre à nouveau Wilhelm Kempff...
C'était un dimanche matin d'hiver. J'avais été réveillée soudain par le disque qu'on venait de mettre sur le "pick-up", dans la chambre d'à côté, celle des parents.
Derrière la paroi mince, quelqu'un jouait un morceau que je n'avais jamais entendu, aussi clair, aussi parfait, aussi impérieux que le matin qui se levait.
Les notes enflaient comme des vagues, crépitaient comme la pluie, flottaient comme les nuages, chantaient comme le vent, et retombaient toujours, fluides, délicates et sauvages, sur le piano magique que je ne voyais pas, et qui n'avait rien de commun avec celui qu'on tapotait et violentait pour rire, chez ma grand-mère, le jeudi après-midi.
Nous n'avions que très peu de disques à la maison, et il était rare qu'on mette en marche le petit "pick-up" jaune qui labourait les vinyles avec sa griffe de diamant mal taillé. Qui nous avait offert ce disque ? Je n'en sais vraiment rien.
Je sais seulement que ce matin-là Wilhelm Kempff était venu chez nous jouer La Tempête.
Ce fut ma première rencontre avec la musique. Et peut-être, au fond, la seule.
Car alors, dans la stupeur qui m'envahissait, je l'ai tout entière comprise - je veux dire absorbée dans mon être jusque-là incomplet, comme un autre coeur, battant si près du coeur du monde qu'il aurait dû se substituer au mien.
Car alors, dans la stupeur qui m'envahissait, je l'ai tout entière comprise - je veux dire absorbée dans mon être jusque-là incomplet, comme un autre coeur, battant si près du coeur du monde qu'il aurait dû se substituer au mien.
Puis il y a eu ce silence, quand tout s'est tu. Ce silence qui est la matière même de la musique.
Ce silence.
Aussi vaste et aussi douloureux que le regret et l'éternel désir.