Les piques
Les piques. Tous ceux qui ont abattu leur dernière carte les connaissent. Si souvent elles leur ont fait perdre la tête - et l'espoir du sommeil.
Les piques, ce sont ces vis ou ces pointes de métal dont on orne depuis quelques années - depuis qu'"ils" sont devenus si nombreux, évidemment - les bordures de pierre, les courettes d'immeubles, tous les recoins un peu plats, un peu larges, où pourrait reposer le corps fatigué d'un clochard. Même les bancs publics, mesquinement distribués dans nos villes debout, sont si savamment pensés, aujourd'hui, pour empêcher les corps de glisser et de s'ensommeiller, les obligeant à se tenir droits et raides, qu'on ne pourrait, par exemple, y coucher un blessé, ou y allonger un malade.
Efficientes et modernes, vigiles inoxydables, les piques - dont on use aussi, d'ailleurs, pour faire fuir les pigeons - sont étrangement franches. Elles parlent peu, c'est vrai, mais elles parlent net et pointu. Ecoutez donc plutôt :
"Tiens-toi debout, toi qui t'effondres, n'attends pas de soutien."
"Pourquoi venir sur moi reposer ta détresse ? Il y a pour cela des coins sombres et discrets."
"Va t'en plus loin cuver ta mort. Ici où l'on te voit, ici n'est pas pour toi."
Oh, non, non, ce n'est pas seulement aux sans-logis qu'elles s'adressent. N'allez pas croire... non... C'est bien à vous. A vous aussi.
A vous tous.
A nous tous.
Tous.