Dernier soleil

Publié le par Carole

Dernier soleil
A Saintes, dans les vieilles arènes, tous se plaisent à passer sous la haute porte des vivants, celle des conquérants et des vainqueurs, sonore et remplie de lumière.
Et, bien sûr, on reste, autant qu'on le peut, à bonne distance de la porte des morts, suintante d'ombres et de bêtes rampantes, sous laquelle on traînait les blessés, les vaincus, les cadavres.
Que tant d'art et d'efforts aient pu être mis au service de tant de violence... Qu'un monde civilisé ait pu montrer avec autant de tranquille impudeur qu'il n'y avait que deux chemins possibles, cela inquiète vaguement. Comme si...
Mais les pierres ont roulé dans le sable et la mousse, et seul le temps désormais, assis sur les gradins rongés, las d'avoir si longtemps médité, s'amuse à mettre en scène ses pauvres jeux d'enfant, ses spectacles bizarres, ses fables insolentes.
 
Un pigeon tout tremblant de vieillesse s'était posé sur l'épaule voûtée d'un grand mur fatigué, tout près de la porte des morts.
Tout à l'heure il tomberait tout raide dans le grand trou noir des perdants, avec ses ailes éteintes.
Mais il goûtait en sage sa dernière bouffée de soleil, étirant son ultime instant comme un condamné sa dernière cigarette.
 
En contemplant les ruines
encore tachées des fientes
qu'il leur avait jetées
d'en haut
aux jours de sa splendeur
vivante.
 
Et songeant que peut-être
il en naîtrait un hêtre,
un soleil,
un cosmos, 
une pâle immortelle
ou même un moucheron.
 
Un brin d'éternité
infime
à encorder les heures
à nouer l'un à l'autre
le chemin des vainqueurs
et le ventre
 
des morts.
Dernier soleil

Publié dans Fables

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M
Que te dire Carole<br /> Juste<br /> Que c'est tristement magnifique ( je ne sais écrire dans ce registre)<br /> merci
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C
Tes vers sont poignants !...
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G
Un sujet qui me touche, ma mères'en est allée il y a quelques jours je reviens doucement.
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C
Je comprends. C'est tellement difficile, ce lent retour qu'on appelle le deuil.
J
Un bien beau texte qui fait frissonner. L'oiseau aurait-il plus de noblesse que l'humain ? Amitiés. Joëlle
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N
Un beau texte, Carole, qui montre combien l'envoûtement de de cette porte des morts - on dirait un gouffre - semble toujours actif, et ce pigeon près d'y succomber.
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F
un très beau texte
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S
Bonjour Carole, Je pense maintenant que je suis à la retraite, te lire davantage et revenir sur tes publications antérieures. Je viens de partager ma lecture sur Facebook où j'ai un compte sous "Suzâme Ecriture". Voilà, en toute simplicité : "Chez Carole Chollet, il y a le témoignage de ce qu'elle perçoit et puis là, juste après, comme gravé sur le blog, une belle poésie." Suzâme
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C
Merci beaucoup, Suzâme. Je n'ai pas de compte facebook, mais je sais à quel point ce réseau social est important. A bientôt sur ton blog (je suis encore un peu en vacances et je vais lentement).
M
Un beau poème dans lequel le temps qui passe balaye les atrocités des temps anciens par l'entremise d'un vieux pigeon vaincu par le temps!
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A
Merci, Quichottine. ;)
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C
C'est agréable de voir ces échanges qu'un petit texte peut susciter. Alors, merci à vous deux !
Q
Que dire ?<br /> Juste bisser le commentaire d'Aloysia.<br /> Magnifique texte, Carole.<br /> Merci.
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A
C'est peut être l'incompréhension du système vie-mort qui pousse l'homme à construire des édifices symboliques. <br /> Ici, la porte de la mort semblait avoir son utilité, pour accueillir les morts, mais les blessés... une cruauté qui s'ajoute à celle de la guerre. <br /> La vie contient la mort, elles sont indissociables, c'est la crainte de l'inconnu qui engendra les religions et les édifices, sorte d'assurance pour perpétuer la barbarie (ce qui implique une certaine forme de conscience et de culpabilité), avec le sentiment de pouvoir être lavé de ses fautes. (Très commode! )<br /> Le plus bel édifice c'est encore la nature et ton pigeon en est. <br /> Merci. Carole, te lire est toujours un bonheur.
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A
" Un pigeon tout tremblant de vieillesse s'était posé sur l'épaule voûtée d'un grand mur fatigué, tout près de la porte des morts. "<br /> Il est magnifique, ton texte, Carole. Derrière sa tristesse et l'illusion d'un "dernier" soleil il y transparaît toute la réalité mouvante et éphémère des choses.
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A
Un pigeon de fable qui illustre combien sont dérisoires les vanités des hommes. Si près de la mort, il sait pourtant que la vie est plus forte que tout.
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C
Ce n'est pas mon premier "pigeon de fable" !
O
bonjour, nous avons quelque fois la visite d'un merle dégarni qui possède quelque plumes blanches...vraiment curieux...
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C
Je suppose que vous l'avez photographié ? Sinon, je pense qu'il faudrait le faire avant que l'hiver ne le recouvre tout à fait de terre noire et de neige blanche.
J
Oh oui un vieux de la vieille, chez nous c'est une pie du genre qui vient en voisine... merci Carole !
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