Dernier soleil
A Saintes, dans les vieilles arènes, tous se plaisent à passer sous la haute porte des vivants, celle des conquérants et des vainqueurs, sonore et remplie de lumière.
Et, bien sûr, on reste, autant qu'on le peut, à bonne distance de la porte des morts, suintante d'ombres et de bêtes rampantes, sous laquelle on traînait les blessés, les vaincus, les cadavres.
Que tant d'art et d'efforts aient pu être mis au service de tant de violence... Qu'un monde civilisé ait pu montrer avec autant de tranquille impudeur qu'il n'y avait que deux chemins possibles, cela inquiète vaguement. Comme si...
Mais les pierres ont roulé dans le sable et la mousse, et seul le temps désormais, assis sur les gradins rongés, las d'avoir si longtemps médité, s'amuse à mettre en scène ses pauvres jeux d'enfant, ses spectacles bizarres, ses fables insolentes.
Un pigeon tout tremblant de vieillesse s'était posé sur l'épaule voûtée d'un grand mur fatigué, tout près de la porte des morts.
Tout à l'heure il tomberait tout raide dans le grand trou noir des perdants, avec ses ailes éteintes.
Mais il goûtait en sage sa dernière bouffée de soleil, étirant son ultime instant comme un condamné sa dernière cigarette.
En contemplant les ruines
encore tachées des fientes
qu'il leur avait jetées
d'en haut
aux jours de sa splendeur
vivante.
Et songeant que peut-être
il en naîtrait un hêtre,
un soleil,
un cosmos,
une pâle immortelle
ou même un moucheron.
Un brin d'éternité
infime
à encorder les heures
à nouer l'un à l'autre
le chemin des vainqueurs
et le ventre
des morts.