L'ami
J'avais poussé par hasard la porte du square. Il gisait dans l'herbe, géant tranché ébranché étêté, pleurant encore quelques larmes de sève, attendant sans linceul qu'on l'emporte tout nu vers la scierie qui le débiterait tout net en tranches ou en rondelles.
Je suppose qu'il fallait l'abattre, qu'il était devenu dangereux pour les enfants du quartier. Il était si vieux, forcément, qu'on ne pouvait plus se fier à son équilibre, à sa mauvaise tête chancelante... Et puis son ombre pesait lourd sur ce square trop étroit qu'on avait décidé de repeindre en jeune et en gai. La raison, la prudence, le bonheur des petits qu'on emmène promener dans les jardins des villes, tout, en somme, exigeait sa décapitation.
On avait fait ce qu'il fallait...
Un père promenait, un peu plus loin, sa toute petite fille.
Ils se sont approchés. J'ai entendu le père, qui disait à l'enfant :
"Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'il était ton grand ami... qu'il était toujours là pour toi."