La souche et le jet d'eau

Publié le par Carole

La souche et le jet d'eau
Qu'il y avait eu un décès au Jardin, je le savais déjà : j'avais vu en passant le petit tas de bûches, au pied des vieux Centaures de l'allée des camélias.
 
Et voilà que le tronçonné, l'effacé du Jardin, le pourrissant cadavre, c'était lui. Celui qui depuis tant d'années se penchait vers l'étang, fasciné de reflets.
Mort ? Il n'en était pas moins paisible, souche endormie sur ses longues racines, déjà semée d'insectes en marche.
Tout près le jet d'eau s'élançait, retombait, et s'envolait encore, colombe aux ailes ouvertes.
Les grands arbres d'hiver gréés de branches noires portaient dans le vent bleu, comme des caravelles, les nids tremblants là-haut où veille le printemps.
Les chemins du Jardin tournaient et tournoyaient avec l'éternité.
Et les oiseaux couvaient sur les branches du monde les aubes et les ombres éclos comme gémeaux dans tous leurs oeufs pépiants.
 
Il n'y avait finalement de tranchant, de définitif, d'exsangue et de douloureux que cette cicatrice pâle qu'avait laissée la tronçonneuse.
Comme pierre tombale.
Absurdement humaine.
Solitaire elle seule.
 
Il n'y a pas d'arbres morts au Jardin.
On ne tranche on ne saigne on ne couche à terre que les mémoires humaines.
 
11 mars 2015

Publié dans Nantes

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A
Bonjour, j'aimerais utiliser votre photographie pour un travail de français au lycée, pour cela je dois présenter brièvement le photographe, pouvez vous me renseigner ? et la photographie, où a t elle été prise ?
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C
Bonjour,<br /> Je vous remercie de votre intérêt. Je suis moi-même l'auteur de cette photo, prise au Jardin des Plantes de Nantes. Et du texte. Sur ce blog, tout est de moi, dans les rares cas où j'emprunte quelque chose, je le précise.<br /> Vous pouvez utiliser la photo, uniquement bien sûr dans le cadre scolaire dont vous me parlez.<br />
P
très bucolique <br /> si vous le souhaitez ma communauté douce France vous attend !
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C
Merci. Mais je ne sais pas du tout comment on entre dans ces nouvelles communautés. Je vais regarder.
F
que c'est triste quand il faut abattre un arbre, beaucoup y perdent leur point de repères
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S
Ce texte est d'une beauté à couper le souffle et l'on partage votre émoi au pied des ombres presque mortes.
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A
Nous en voyons disparaître de ces amis silencieux que l'on croise comme s'ils devaient durer toujours. Le paysage se transforme, un temps il manque quelque chose, puis un jour la mémoire faiblit. Rien ne dure.
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M
Comme c'est joliment dit, de l'arbre ne reste qu'un souvenir d'invincibilité, juste un souvenir!
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M
Un arbre mort, est utile pour tout un petit monde. S'il n'est pas dangereux pour les passants, autant le laisser tranquille. Il est vrai, que certains trouvent que ça dépare le paysage... Ah! cet amour de l’ordre!<br /> Beau texte comme toujours<br /> Merci chère Carole<br /> ;)
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F
Bravo, l'on nous dirige sur l'article avec le "commenter cet article" en cliquant sur le titre!!! ce matin, j'avais pas bien lu!! Pauvre arbre, je suis toujours triste lors de la mort d'un arbre!!qu'avait-il de gênant? la vue sur le jet d'eau, était-il malade!! SNIFF!! BISOUS FAN
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C
Très compliqué en ce moment de gérer les commentaires sur OB !
C
Un beau tombeau de mots pour un bel arbre.
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A
C'est vrai, ta dernière phrase dit tout : seule la mémoire est blessée....
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C
Nous sommes les seuls à mourir, en fait, le monde, lui, se transforme, et continue.
Q
Qu'ajouter ?<br /> Je crois que toi seule pouvait nous "dire" tout cela.<br /> Merci, Carole.
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C
Merci Quichottine
A
Etrangement, surtout à la fin de ce texte si poétique, je pense à toutes ces œuvres d'art décapitées, massacrées, "couchées à terres" ces derniers jours...
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J
Quoiqu'il arrive, nos scies, nos bétons et nos rails seront impuissants devant ce qui composent le monde qui nous héberge. D'autres arbres prendront la place de celui-ci alors que nos os auront disparus depuis longtemps. Jonas
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R
J'épingle :<br /> <br /> "Les grands arbres d'hiver gréés de branches noires portaient dans le vent bleu, comme des caravelles, les nids tremblants là-haut où veille le printemps.<br /> Les chemins du Jardin tournaient et tournoyaient avec l'éternité.<br /> Et les oiseaux couvaient sur les branches du monde les aubes et les ombres éclos comme gémeaux dans tous leurs oeufs pépiants."<br /> <br /> SUPERBE ! <br /> <br /> Digne des plus grands poètes prosateurs ...
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C
Merci Richard, c'est si gentil !
C
Un beau "tombeau" de mots pour un arbre aimé.
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N
"On" n'aime pas vraiment la nature, puisqu'"on" ne l'aime que "propre", pas de mauvaises herbes, pas de mauvaises odeurs. Bien lisse. Surtout pas dérangeante. Alors l'évocation de la mort, même si c'est celle d'un arbre...
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A
Contente de retrouver tes jolis textes. Ton "installation" a l'air bien laborieuse mais, contrairement à cet arbre terrassé, toi tu plies mais ne romps pas...
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C
Hum... je commence tout de même à fléchir...
M
Il reste là et on l'imagine, ce bel arbre qui se mirait dans l'eau ! Merci pour ce beau texte et cette image<br /> Bonne journée
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J
Eh oui eux aussi un jour ou l'autre... et lui enlever le pied de la terre n'est pas chose simple... surtout vu sa taille, alors qu'il repose en paix là dans son reste.... merci, jill
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